Je vous ai déjà parlé de la pluie par deux fois ;
dans le midi les orages d’été sont des évènements normaux. Ils viennent, ils
partent et on les oublie sous un soleil qui nous parait continu.
Il s’était passé deux mois depuis mon arrivée. J’avais
goûté à tout, le soleil, la mer et ses jeux, la rivière et ses sources glacées,
à la paella faite maison, à la garrigue et ses senteurs etc. et aussi à
l’amour. Que du bon ! Que manquait-il ?
Le matin du six septembre, j’étais descendu prendre
mon petit déjeuner, vers sept heures, comme chaque jour puis, j’étais remonté
dans ma chambre pour lire un peu.
J’étais sur un livre que m’avait donné un
ami. Il m’avait dit : « Tiens, prends, ça va te plaire. » A ce
moment-là, je n’avais encore jamais lu un livre en entier et j'étais dubitatif quant à son sort mais, je consentis quand même à lire la première page... Et, ce livre-là, je le
dévorais, je le vivais, devrais-je dire. C’était « La Gloire de mon
Père » de Marcel Pagnol. Oh, je sais, c’est un livre qu’on vous a obligé
de lire à l’école et vous n’en avez pas un bon souvenir mais, pour moi, tout ce
qui était écrit dedans était ce que j’étais en train de vivre. (Les évènements
familiaux de Marcel mis à part, bien entendu.) Tout y était et je sentais les
odeurs rien qu’en le lisant. Et je voyais les images des lieux où j’avais
« habité » durant deux mois. Et j’avais vingt ans !
Toutefois, ce six septembre, le ciel s’obscurcit et je
n’aime pas lire quand la lumière est faible. Je posai mon livre. (Je quittai ma
garrigue et ses senteurs.) Et je descendis chez mon amie Kaitlin qui était deux
étages plus bas.
Au fur et à mesure de ma descente, le ciel se couvrait
de plus en plus. La pluie commença à tomber. Les premiers tremblements de
tonnerre se firent entendre et les éclairs s'invitèrent à la fête, si bien que je m’arrêtais dans le hall du
premier étage pour voir ce qui se passait à l’extérieur. C’était le déluge. Des
seaux (des bassines) d’eau étaient jetés sur Nîmes et ses environs. Les grondements était plus
forts et les éclairs plus proches et plus lumineux. Je n'avais jamais vu cela.
J’allai chez Kaitlin. Je frappai à la porte. Rien, pas
de réponse. Je bougeais la poignée et la porte s’ouvrit. J’appelai :
« Kaitlin, tu es là ? » La porte de l’armoire s’ouvrit et
Kaitlin me sauta dans les bras me serrant très fort tout en gardant les yeux fermés.
Elle avait peur de l’orage, des éclairs et du tonnerre. Elle s’était enfermée
dans l’armoire en attendant que le bruit cesse.
Cette sorte d’orage, je l’appris plus tard, est
ce qu’on appelle dans la région « un épisode cévenol ». De fortes
pluies dues à des nuages lourds qui viennent de la mer et qui sont arrêtés par
les Cévennes. Ainsi, toute cette eau est déversée, rapidement, sur un même
endroit. Les ruisseaux deviennent des rivières et parfois des fleuves, des torrents,
qui sortent de leur lit et emportent tout devant eux faisant des dégâts
considérables.
Mais, revenons à Kaitlin que je venais de sauver pour
la troisième fois. Elle me dit : « C’est fini. » Je
réponds : « Non, je ne crois pas. Ça vient de commencer. Il faut
attendre que les nuages plus lourds soient passés. » Elle continue :
« Mes trois mois de stage… c’est fini. Je rentre le dix. Mercredi je
prends l’avion pour Londres. » Je réponds : « Mais, ce
n’est pas possible. Tu ne peux pas me faire ça : je t’aime. » Et là,
j’entends la plus belle faute de français que je connaisse, en tout cas, celle
qui m’est restée à jamais : « Mais, pourquoi tu n’as pas me le
dit ? »
Dehors, la pluie s’était transformée en grêlons aussi
gros et durs que des balles de golf. Les rues étaient devenues blanches,
éclairées, te temps en temps, par des éclairs qui se réfléchissaient sur le blanc
des grêlons.
Et ce bruit répétitif des grêlons, sur les volets, sur le macadam
de la rue, sur les feuillages des arbres, sur les tuiles des toits et les tôles
des voitures, couvrait ma peine.